jeudi 23 juillet 2009

Tout a une fin


Mardi 21 juillet – Cinquantième jour, j'arrête.


Non pas parce que c'est le cinquantième jour, mais parce qu'il n'y a plus rien à voir.
La décision, difficile à prendre, murissait lentement depuis deux ou trois jours.

Si j'en crois mon guide, une fois passé les Carpathes et franchi les portes de fer, ce ne sont plus que « paysages sans fin de petites fermes, prairies et pâtures. La route jusqu'à Constanza est longue ... Elle semble presque vide. »
Bref, les 850 derniers km s'annoncent mortellement ennuyeux. Aussi je préfère rester sur la bonne impression que me laisse la traversée des Carpathes. Mon oeil s'y est régalé.


Je ne verrai pas la mer noire.

Je ne toucherai pas la borne km zéro du Danube, que l'on ne peut d'ailleurs joindre qu'en bateau car il n'y a plus de route.

Je ne verrai pas le delta classé UNESCO, immensité plate de marécages pour écolos passionnés de pélicans

Je me fais facilement une raison car rien de tout cela ne me paraît indispensable.

Il faut dire aussi que j'ai envie de rentrer.
En partant, je disposais d'un certain capital « moral »; je l'ai beaucoup utilisé pendant les fortes chaleurs et les étapes sans intérêt de Hongrie, de Croatie et du début de la Serbie, déjà de la campagne plate et vide. Je n'ai plus assez de jus pour revivre la même expérience, avec des hébergements qui se raréfient.

L'aventure s'arrête donc en Roumanie, à Drobeta-Turnu Severin.
Bien sur, cela aurait été plus satisfaisant si j'avais eu suffisamment de tonus pour aller jusqu'au bout, et mon petit orgueil personnel en prend un coup. Il me faudra faire avec.

Cette après-midi, j'ai pris un billet de train pour rejoindre Bucarest. De là, ce sera le bus ou l'avion pour Paris.

Agnès, pas la peine de me préparer de purée. Je vais bien et ne manque de rien.
A bientôt pour un bilan de cette aventure qui nous a tenu depuis 10 mois.

Mercredi 22 juillet – Le plat pays

Le train qui m'emmène à Bucarest traverse sensiblement les mêmes paysages que ce que j'aurai eu à faire à vélo et je me félicite de la décision prise d'arrêter. C'est plat de chez plat, des horizons à l'infini, aucun relief, aucune ombre, sorte de traversée de désert agricole. La Beauce semble souriante comparée à ce sud de la Roumanie, déprimant à souhait. Le plus triste de tout ce que j'ai vu depuis le départ, pendant 300 km. Et le guide qui en annonce 800 !


Retour en bus prévu vendredi à l'aube, arrivée samedi soir à Paris.

lundi 20 juillet 2009

La Serbie, suite

Remarque préalable : sur le tracé schèmatique ci-dessus, vous pouvez m'imaginer quelque part entre Belgrade et Bucarest.

Samedi 18 juillet – Enfin une église ouverte.


Je suis parti très tôt, vers 5h30. Mais passées 10h, il faisait déjà plus de 36°. Ajoutez à cela quelques collines, les Crveni Cot ou saintes montagnes, un bon vent de face, et vous comprendrez que la journée n'a pas été facile.

Un petit bonheur cependant : à Beska, j'ai enfin vu une église orthodoxe ouverte, que je me suis empressé de visiter et qui m'a intéressé, mais pas de banc pour s'asseoir un instant.

En vrac :
- Yaourt : j'en fais une grande consommation, plus d'un litre par jour. Depuis la Suisse, je trouve facilement des yaourts à l'unité, et non en pack comme en France. J'achète donc un pot de 150g, 380 ou 500g, selon mes envies du moment et les parfums disponibles. Hongrie, Croatie et Serbie ont beaucoup de petites boutiques, souvent plusieurs par village, et l'approvisionnement est facile.Sous le terme de yaourt, je trouve des choses assez différentes, allant du plus liquide, quasiment du lait, au plus solide, ferme comme un chèvre frais. C'est toujours un peu la surprise.Par contre, c'en est fini des petites salades de crudité, de pattes (les cornettes en Suisse), de pommes-de-terre, les filets de harengs en crème, ... que je trouvais facilement avant la Hongrie. Ici, cela doit être trop luxueux.

- Dilemme : bière ou douche ? Quand le choix est possible, il est cornélien. Une fois arrivé, est-ce que je vais foncer sous la douche, ce qui fait un bien immense – terminée à l'eau froide sur les jambes, ou est-ce que je vais m'attabler tranquillement à une terrasse de café pour avaler en quelques longues gorgées un demi (un vrai demi, c'est à dire un demi-litre), ce qui est aussi une bénédiction des dieux ?
Je ne bois pas de bière habituellement, mais j'avoue que juste après l'effort sous la chaleur, la bière est un vrai régal. Elle rafraîchit bien mieux que le coca-cola et a plus de personnalité qu'une eau gazeuse.Sur le chemin de Compostelle, un Belge qui carburait à la bière m'avait dit que cette boisson contenait des sels minéraux nécessaires pour se requinquer. Va pour les sels minéraux.

- Idée du matin / idée de l'après-midi : le matin, je me vois bien, une fois atteint le delta du Danube, aller faire un petit tour le long de la mer noire en Bulgarie, rejoindre la Turquie et y prendre un cargo, destination Triestre, Gène ou Marseille. L'après-midi, ou dés 10h même quand il fait chaud, l'idée est plutôt : une fois le Danube terminé, je rentre le plus vite possible, en bus ou en avion.Remarquez au passage que j'ai abandonné l'idée de rentrer à vélo par la Bulgarie, l'Albanie et la côte adriatique. Point trop n'en faut.

- Mc Do international : je me débrouille très bien désormais pour passer ma commande chez Mc Do, bien que ne parlant ni hongrois, ni croate, ni serbe. En effet, les filles posent toujours les questions dans le même ordre, quelque soit le pays. Une fois que j'ai montré du doigt sur les tableaux lumineux la salade que je veux, vient la question de la sauce, puis la boisson, est-ce que c'est tout, et enfin : à consommer sur place ou à emporter. Ça a du bon les multi-nationales aux procédures bien rodées.

Dimanche 19 juillet – Je rêve

Je rêve d'un petit nuage gris qui se mettrait en route en même temps que moi le matin. Il me suivrait amicalement toute la journée et me ferait gentiment de l'ombre, laissant le reste du paysage sous le soleil.

« A quoi cela tient-il ! » ou « La madeleine des Carpathes »

Vous n'êtes pas sans avoir remarqué que depuis Budapest, la progression est devenue plus difficile, au point que je me suis demandé si j'allais arrêter. Il y deux ou trois jours, je parcourais le guide pour voir :
1- l'intérêt touristique de ce qu'il restait à faire,
2- à quel endroit interrompre le circuit au mieux des possibilités de retour, et rentrer au bercail.
En lisant, je tombe sur cette phrase : « ... the Iron gates where the Danubes breaks through the Carpathian Mountains. ».
Au mot Carpathes, un déclic se produit en moi. Carphates, comme Santiago de Compostella ou d'autres noms de lieux dont j'ai déjà parlé ici, fait partie de cette liste de mots magiques qui me font rêver.
Et pour les Carpathes, je sais d'où cela vient.

Flash-back. J'ai 8 ou 10 ans. Je suis chez ma grand-mère maternelle, Mémé Toinette. Dans un grenier sombre et poussiéreux auquel j'accède par un vieil escalier en bois très raide, il y a des cartons avachis avec des vieilles revues, dont quelques numéros de Coeurs Vaillants, une bande dessinée hebdomadaire de la presse catholique. Je m'échappe souvent dans ce grenier, sorte de caverne d'Ali-Baba au léger goût d'interdit. Le grand héros de Coeurs Vaillants est Fred le gardian, un camarguais relooké cow-boy, puisque les indiens et les cow-boys étaient à la mode chez les enfants à cette époque, c'est-à-dire après la guerre 40.
Une des aventures de Fred se passe dans les Carpathes, au milieu des romanichels, des roulottes, des ours enchaînés et des coups de fouet qui claquent. Bien sur, il manque plein de numéros, la série n'est pas complète mais les seules images disponibles suffisent à me faire rêver.
A seed in my brain.
Aussi, quand aujourd'hui, je lis que le Danube traverse les Carpathes, cela ne peut que me booster pour continuer le parcours; il n'est plus question d'arrêter maintenant.


Pour la petite histoire, sachez que dans le carton, il n'y avait pas que des bandes dessinées, mais aussi deux livres de conseils aux jeunes femmes pour la conduite à tenir avec leur époux en toutes circonstances. Là aussi, j'ai beaucoup fantasmé, et je ne saurai dire aujourd'hui, si je montais au grenier plus pour Fred que pour ces opuscules.

Lundi 20 juillet – feux d'artifice

Une journée de rêve comme je n'en avais pas eues depuis 15 jours au moins. Tout y était :
- les paysages étaient presqu'aussi beau qu'un lac suisse
- il ne faisait pas trop chaud, moins de 35°
- le vent était favorable et la route bonne
- pour déjeuner, je cherche à me mettre au bord du Danube. Je prends un petit chemin de terre, arrive près d'une maison et d'un champ fauché qui descend vers le Danube. Je demande la permission au paysan sur le balcon de la maison, et c'est en français que l'on se comprend. Il me propose de m'installer sur sa terrasse ce que j'accepte. Je déjeunerai donc en parlant français avec Stojan, 9 ans de vie en France. Il m'offrira du sirop et le café. Il est maintenant à la retraite et vient pécher sur le Danube. Cette vieille maison qu'il arrange lui servira de pied-à-terre.
- Sur la route, deux jeunes cyclos à sacoches déjeunent. Ce sont les premiers cyclos que je vois depuis que j'ai quitté Suzy et Jean-Yves, il y a quelques jours. Et ils parlent français puisqu'ils sont suisses de Genève. Nous échangeons quelques mots; eux sont partis de Vienne et souhaitent rejoindre la mer noire.
- J'arrive à Donji Milanovac, but de ma journée; il y a un office de tourisme, un vrai, avec quelqu'un qui accueille, qui me recherche une chambre. La dame de la chambre, en fait un deux pièces avec coin cuisine, vient me chercher à l'office de tourisme. Dans l'appartement, il y a un ordinateur et Internet. Du jamais vu ! On m'avait promis la wifi mais il faut un code pour se connecter que ne connaît pas la dame.
- A deux pas de « chez moi », il y a une supérette; je vais y acheter bière et yaourt. Aujourd'hui, ce sera bière sous la douche. Non, là j'en rajoute car il faut d'abord mettre en chauffe le ballon d'eau chaude. Ce sera donc bière avant la douche.

Et demain, je passe en Roumanie.