Certains, certaines d’entre vous, dérapent sur le verglas au nord de la Loire.
Moi, je dors à la belle étoile.
Cependant, je ne voudrais pas que vous fantasmiez sur ma félicité nocturne. En effet, dormir à la belle étoile à Agadez (Az en abrégé), c’est avant tout se mettre en situation de profiter d’un peu de fraîcheur réparatrice.
La nuit tombe vers 19h. C’est Orion qui s’impose en premier, immédiatement visible. Deux ou trois heures plus tard, la grande ourse (la belle chamelle pour les Touaregs) pointera le bout de sa truffe à l’horizon. Je vous parle là des rares figures que j’arrive à identifier ; mes connaissances en cartographie stellaires sont en effet très limitées.
Mais la belle étoile, ce n’est pas seulement le spectacle de la voûte céleste, c’est aussi beaucoup de bruits sur terre.
- Quelques coqs doivent vivre sous d’autres fuseaux horaires car ils chantent régulièrement toute la nuit, marquant les heures et les ½ heure, comme le clocher de l’église de Chalou.
Rapide calcul : Agadez = 200.000 habitants (un peu plus, surtout avec les réfugiés venus de l’Aïr ces derniers mois, mais j’arrondis pour faire simple). A 15 personnes par famille, cela fait 13.333 foyers. J’estime qu’un foyer sur trois à un coq, ce qui donne le chiffre respectable de 4.444 coqs en puissance de chanter. 4.444 me semblant un chiffre un peu trop élevé, je divise encore par 4 (coefficient doigt mouillé) ce qui fait 1.111 coqs. Il y a là de quoi sonoriser mes nuits. Je n’ai pas trouvé de statistiques sur Internet pour valider ce chiffre qui n’engage donc que moi.
- Les moustiques vibrionnent autour de la tête, peut-être un ou deux, pas plus, mais cela suffit à me mettre sous pression. Normalement, je veux dire : « en Europe », j’allume la lumière, j’attends que la bête se pose sur un mur, et, d’un coup d’oreiller rageur, je trucide le provocateur. Mais ici, - je vous rappelle que je suis à la belle étoile -, pas de lumière et pas de mur. Reste la moustiquaire me direz-vous. Bien sur, j’en ai une dans le sac, mais je n’ai pas le bras assez long pour l’accrocher au plafond étoilé.
- Les chiens, quasiment inexistants le jour, revivent la nuit. Je ne souviens pas avoir vu un chien sur ses pattes de jour. Ils sont tous avachis (question : un chien peut-il être avachi ?), leur couleur café au lait se confondant avec celle du sol. Les conversations canines, nocturnes et prolongées me font savoir qu’ils n’ont pas tous crevé de soif.
- Les ânes et les mulets, muets le jour, le sont aussi la nuit. Discrets, disponibles, têtus, ils s’endorment un peu n’importe où dans les rues. En moto ou en voiture, il faut les contourner car ils ne bougeront pas.
- Une chèvre a chevroté ; une seule, une fois. Peut-être un cauchemar de chèvre ? Question : que peut être un cauchemar de chèvre à Az ? Ne plus trouver ne serait-ce qu’un bout de carton à mâcher dans les rues ?
- Dans le ciel, les étoiles continuent leur ballet. La belle chamelle, selon le Kama Sutra tropical, prend des positions que la grande ourse n’a jamais imaginé sous nos latitudes.
- Et puis il y a les satellites. Ils traversent le ciel avec régularité : les états-uniens, les chinois, les russes, quelques français ; au milieu de toutes ces étoiles, les satellites israéliens sont plus difficiles à identifier. D’autres me resteront inconnus.
Les satellites que je vois clignotent ; je me demande bien pourquoi. A quoi cela peut-il servir qu’un satellite ait des clignotants ? Je suppose que leur trajectoire est rigoureusement calculée pour ne pas croiser une autre trajectoire, qu’ils n’ont pas à indiquer avoir à tourner à gauche ou à droite. Alors ? Encore une question sans réponse.
- Et puis la fraîcheur de la nuit arrive enfin, entre 3h et 5h, juste avant les premières prières des Muezzins. Cette fraîcheur fait du bien, mais point trop n’en faut. Fraîcheur, oui, frisquet, ce n’est pas ce que je demande. Je me recroqueville, m’interroge : duvet ou pas duvet ? Décision difficile à prendre en cette heure matinale.
- Tout là-haut, la belle chamelle se retrouve sur le dos ; un missionnaire passe.
La nuit s’achève, le jour se lève.
Alors, verglas ou belle étoile ?