samedi 14 février 2009

Niamey Agadez, la face noire de l'Afrique

Samedi 7 février : la face noire de l’Afrique

Vendredi, voyage Niamey Agadez, 1000 km environ ; je suis le seul blanc à bord.
Beaucoup de jeunes, 18-25 ans ; un 1er groupe de garçons a pris le bus à Niamey, l’autre, mixte, un peu plus loin sur le trajet ; les filles, plutôt pin-up, comme des jeunes occidentales, belles comme peuvent l’être des jeunes filles en fleur.
Chose curieuse : les deux groupes se parlent en anglais et quand il marchande un bout de viande ou un beignet aux arrêt, c’est en anglais. Je repère quelques mots mais n’y comprend rien, tant l’accent diffère de celui d’Alison (Alison est actuellement mon prof. De prononciation en anglais ; Alison Taylor, but my Taylor isn’t rich).

Au long du parcours, j’avais glané quelques babioles pour alimenter cette chronique mais ce qui c’est passé en fin de parcours les a réduites à l’état de futilités insignifiantes.

Nous sommes dans les derniers 200 km. Depuis quelques temps, nous roulons en convoi sous la protection de la Gendarmerie Nationale car la région sud d’Agadez est réputée peu sure. La route s’est transformée en piste et le bus vibre de tous ses organes ; quel tintamarre ! A côté de cela, le plus vieux des tracteurs d’André est un havre de paix.
Les jeunes du fond se sont mis à chanter, joyeux, enthousiastes. Ça chauffe. Certains, les yeux fermés, sont visiblement pris par leur chant ; ils sont ailleurs. C’est le genre de rencontre imprévue que j’adore en voyage.
Malgré le bruit du bus qui couvre le chant, je me décide à sortir le magnétophone.
Cela fait une bonne ½ heure qu’ils chantent, j’ai pu enregistrer les 12 dernières minutes dont les 3 sur routes goudronnée, donc de meilleure qualité ; je verrai ce que je peux en tirer une fois rentré à Chalou-Moulineux.
Le soleil vient de disparaître à l’horizon. Le convoi s’arrête en rase campagne, tellement rase et sèche dans cette région. Nous attendons des véhicules retardataires. Nous attendrons deux heures sous un superbe clair de lune. Je met à profit ces instants pour parler avec les jeunes.
Le groupe des chanteurs vient du Nigéria : where do you come from ? and where do you go ? Agadez. For work ? Réponse évasive. On parle de Zidane et Thierry Henry; “C’est mon maître » me dit l’un d’eux, bon footballeur au Nigeria selon lui. Il me demande comment se faire prendre au PSG. Comme je ne sais pas pour le PSG, il tente sa chance avec Monaco. J’essaie de lui expliquer dans mon anglais bredouillant que ce n’est pas aussi simple que ça.
L’un d’eux me demande pourquoi je ne vais pas au Nigeria, un pays « si intéressant ». Je lui réponds par une question : « Si le Nigeria est si intéressant, pourquoi le quittez-vous ? ». Ils rient de bon cœur.
Un peu plus tard, à l’extérieur du bus, au clair d’une pleine lune, je discute avec l’autre groupe ; eux viennent du Ghana, ce qui explique les échanges en anglais. Même jeu de questions-réponses. L’un d’eux s’appelle Peter et fait de la photo ; comme je m’appelle Pierre et que je fais de la photo, un ballet des mains et des points qui se cognent celle notre toute jeune complicité. Il m’explique son désir de devenir un grand photographe en Europe et me demande quel pays choisir : Londres, la Belgique, la Grèce (prononcez grease) ?
Peter, un peu plus en confiance, me dit essayer aller en Libye ; il se fait aussitôt reprendre d’un coup de coude discret par son voisin : c’était l’info. à ne pas dire. J’explique que je devine leur projet, rejoindre l’Europe, mais qu’il n’y sont pas attendus à bras ouverts, qu’en France, environ 30.000 étranger ont été refoulés (même si parmi eux, plus de la moitié sont bulgares et roumains).
Le convoi repart. Etrangement, notre chauffeur prend la tête, à 1 ou 2 km devant les véhicules de la gendarmerie ; sommes-nous poisson pilote ou démineur ? Je ne le saurai pas.
J’ai le blues, une grosse boule dans la gorge. Je suis au milieu de ces jeunes, la tête pleine de rêves. J’anticipe pour eux la traversée du désert vers la Libye (les disparus ne sont pas rares, mais, de ceux-là, on ne parle pas en Europe, c’est trop loin de chez nous). J’anticipe la traversée de la mer méditerranée, les embarcations qui chavirent (là, on en parlera en Europe, ça se passe à nos portes), Lampedusa, les camps d’internement au sud de l’Italie ou à Malte, ce que pourraient devenir ces filles …J’imagine la fin d’une histoire qu’ils n’imaginent sans doute pas. C’est à en chialer.
Nous arrivons aux portes d’Agadez. Barrage de police. Deux policiers montent dans le bus, ramassent les passeports, nous font descendre. Les visages des jeunes se sont figés, le teint est terreux sous la lune ; on ne chante plus, on ne rie plus.
D’autres bus du convoi, des jeunes sont aussi descendus pour rejoindre le 1er groupe ; 50 ? 100 au total ?
Rapidement, je récupère mon passeport et remonte dans le bus qui repart. Les jeunes restent sous la garde de la police. Je ne connaîtrai pas la fin de leur histoire.
Dans ma tête, les chants si joyeux, si inconscients, prennent une autre tonalité. Je ne pourrai plus les écouter sans penser au contexte.
21h15. Nous arrivons à Agadez ; Kader m’attend, embrassades, la vie continue.